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17-De l'ivrognerie

II-5. Contre la Gourmandise et contre l'Ivrognerie

{42} Vous avez entendu dans le sermon précédent, bien-aimés, la description de la vertu du jeûne, et son véritable sens. Vous allez maintenant entendre combien la gloutonnerie et l'ivresse sont des fautes aux yeux de Dieu, afin de vous inciter plutôt à vous appliquer au jeûne. Comprenez donc bien que Dieu Tout-Puissant, dans le but que nous nous gardions purs et Le servions en sainteté et avec droiture selon Sa parole, a invité tant de gens dans Ses Écritures à « viser la glorieuse apparition de Christ notre Sauveur pour mener leur vie en toute sobriété, modestie et tempérance ». Par quoi nous pouvons apprendre combien il est nécessaire à chaque Chrétien de ne pas être pris au dépourvu lors de la venue de Christ notre Sauveur, et de vivre sobrement dans le monde présent, car ceux qui ne seront pas préparés ne pourront pas entrer dans la gloire avec Christ ; et se trouvant désarmés de ce fait, ils sont en permanence en danger du fait du cruel adversaire, le lion rugissant, contre qui l'Apôtre Pierre nous avertit de nous préparer par une sobriété continuelle, afin de pouvoir résister, étant fermes dans la foi. Et dans l'intention que cette sobriété soit la marque de tout notre comportement, il est expédient pour nous de vous déclarer combien toutes les sortes d'excès offensent la majesté de Dieu Tout-Puissant, et combien gravement Il punit l'usage immodéré et l'abus de la Création qu'Il a ordonnancée pour nos besoins dans la vie, comme la nourriture, la boisson et le vêtement, et en montrant les maladies répugnantes et les grands méfaits qui s'ensuivent ordinairement pour ceux qui se laissent emporter et s'adonnent sans mesure à ces plaisirs auxquels s'adjoignent soit une préciosité et un coût excessifs, soit des vêtements coûteux et somptueux.

Et d'abord, afin que vous puissiez percevoir combien tous les excès dans le manger et le boire sont détestables et haïssables devant Dieu Tout-Puissant, rappelez-vous ce qui est écrit par St Paul aux Galates, où il compte la gloutonnerie et l'ivresse parmi les crimes horribles à cause desquels (dit-il) « nul homme n'héritera du royaume des cieux ». Il les compte parmi les œuvres de la chair, avec l'idolâtrie, la prostitution et le meurtre, qui sont les plus graves offenses qui soient de la part des hommes. Car les premières privent Dieu de Son honneur, les secondes souillent Son saint temple, c'est à dire notre propre corps, les troisièmes nous font compagnons de Caïn dans le meurtre de nos frères, et quiconque les commet, comme le dit St Paul, ne peut pas hériter du royaume de Dieu. Ce péché est très certainement odieux et détestable devant la face de Dieu, et Le pousse à détourner Sa disposition favorable si loin de nous qu'Il en vient à nous déshériter et à nous mettre à la porte de Son royaume céleste. Mais Il déteste tant tous les festins bestiaux que dans l'Évangile, par Son Fils Christ notre Sauveur, Il déclare Sa terrible indignation contre les ventres-dieux, en les maudissant ainsi : « Maudits êtes-vous qui êtes repus, car vous aurez faim ». Et par le prophète Ésaïe, Il crie ceci : « Maudits êtes-vous qui vous levez tôt pour vous adonner à l'ivresse et pensez si fort à la boisson que vous suez à vous y appliquez, jusque dans la nuit. La harpe, le luth et plein de vin sont de vos fêtes, mais vous ne remarquez pas les œuvres du Seigneur, ni ne respectez les œuvres de Ses mains. Maudits êtes-vous qui êtes forts pour boire du vin et puissants pour plonger dans l'ivresse ». Ici, le prophète enseigne clairement qu'aller de festins en banquets leur fait oublier leurs devoirs envers Dieu quand ils s'adonnent à toutes sortes de plaisirs, sans considérer ni respecter les œuvres du Seigneur qui a créé les nourritures et les boissons, comme le dit St Paul, sans les recevoir avec reconnaissance comme ceux qui croient, et savent la vérité. De telle sorte que la vue même de ces créatures, qui sont le résultat du labeur de Dieu Tout-Puissant, peut nous apprendre à en user avec reconnaissance, comme Dieu l'a ordonné. C'est pourquoi ils n'ont aucune excuse devant Dieu, ceux qui se nourrissent salement, ne respectant pas la sanctification [qui découle] de la Parole de Dieu et de la prière, ou qui abusent ingratement des bonnes créations de Dieu en se gavant et en s'enivrant, car les ordonnances de Dieu sur Ses créatures l'interdisent clairement.

Ceux qui s'adonnent donc à boire et à banqueter, n’ayant tous ensemble aucune considération pour les jugements de Dieu, seront soudainement opprimés au jour de la vengeance. Et Christ notre Sauveur en avertit Ses disciples, en disant : « Prenez gardes à vous-mêmes, afin qu'à aucun moment votre cœur ne soit dominé par les excès, l'ivresse et les soucis du monde, et que ce jour ne vous tombe dessus par surprise ». Quiconque entend l'avertissement de Christ, qu'il prenne garde à lui-même afin que, son cœur étant gavé et noyé dans l'ivresse, il ne soit pas sans connaître ce serviteur économe qui, ne pensant pas au retour de son maître, commença à frapper ses collègues serviteurs et à manger et boire jusqu'à l'ivresse, et fut soudainement surpris, recevant sa juste récompense avec les incroyants et les hypocrites. Ceux qui ont l'habitude de boire jusqu'à plus soif et de se nourrir jusqu'à la nausée, se vautrant dans toutes sortes de méchancetés, sont emportés dans leur sommeil, oublieux de la sainte volonté et des Commandements de Dieu. C'est pour cette raison que Dieu a crié par le prophète Joël : « Réveillez-vous, vous les ivrognes, pleurez et hurlez, vous les buveurs de vin ; parce que le vin nouveau vous sera ôté de la bouche ». Ici, le Seigneur menace terriblement de retirer Ses bénédictions à ceux qui en abusent, et d'arracher la coupe de la bouche des ivrognes. Nous pouvons apprendre ici à ne pas nous endormir ivres ou gavés, afin que Dieu ne nous prive pas de l'usage de Ses créations quand nous en abusons méchamment. Car il est certain que le Seigneur notre Dieu non seulement ôtera Ses bénédiction à ceux qui en abusent de façon ingrate, mais aussi que dans Sa colère et Son grand déplaisir, Il Se vengera de ceux qui en abusent immodérément.

Si nos premier parents, Adam et Ève, n'avaient pas suivi leur appétit glouton en mangeant le fruit défendu, ils n'auraient ni perdu le bénéfice des bénédictions de Dieu dont ils jouissaient dans le paradis, ni attiré tant de malheurs, à la fois sur eux-mêmes et sur toute leur postérité. Mais quand ils ont outrepassé les limites que Dieu leur avait fixées, comme des gens indignes des bénédictions de Dieu, ils ont été expulsés et chassés du paradis, ne pouvant plus manger le fruit de ce jardin dont ils ont abusé par excès ; en tant que transgresseurs du Commandement de Dieu, eux et leur postérité furent frappés de confusion et de honte perpétuelles, et en tant que maudits de Dieu ils doivent maintenant suer pour gagner leur vie, alors qu'ils avaient tout en abondance et à plaisir. Toutefois, si nous mangeons et buvons en excès alors que Dieu nous comble si généreusement, Il changera bientôt l'abondance en pénurie, et alors que nous nous sommes glorifiés dans l'abondance, Il nous rendra vides et nous confondra par la pénurie ; oui, nous serons obligés de travailler dans la douleur pour chercher ce dont nous avons profité à notre aise. Ainsi, le Seigneur ne laissera pas impunis ceux qui, ne respectant pas Son ouvrage, suivent le désir et l'appétit de leur propre cœur.

Le patriarche Noé, que l'Apôtre appelait le prédicateur de justice, un homme très en faveur auprès de Dieu, donne dans l'Écriture Sainte un exemple par lequel nous pouvons apprendre à éviter l'ivresse. Car quand il s'est versé plus de vin qu'il n'était convenable, il s'est couché nu d'une sale manière dans sa tente, ses parties intimes à découvert. Et alors qu'il était très estimé avant, il est alors devenu un sujet de moquerie pour son propre fils Cham, et de grande douleur pour Sam et Japhet, ses deux autres fils, qui avaient honte du comportement bestial de leur père. Ici, nous pouvons noter que l'ivresse amène la dérision et la honte, de sorte qu'on n'échappe jamais à la punition.

De même Lot, vaincu par le vin, commit un inceste abominable avec ses propres filles. Dieu Tout-Puissant donnera ainsi aux ivrognes les mêmes désirs honteux dans leur cœur obscène. Voici Lot tombé si bas et si hors de sens qu'il ne reconnaît plus ses propres filles. Qui aurait pensé que ce vieil homme se serait mis dans un tel cas, ayant perdu sa femme et tout ce qu'il avait dans la terrible vengeance de Dieu contre les cinq villes à cause de leur vicieuse manière de vivre, et ayant outrepassé à ce point son devoir, jusqu'à ne plus s'en rappeler? Mais les hommes dominés par la boisson sont tous fous, comme Sénèque l'a dit. Il a été trompé par ses filles, mais aujourd’hui nombreux sont ceux qui se trompent eux-mêmes, en pensant que jamais Dieu ne Se vengera avec d'horribles châtiments de ceux qui L'offensent avec leurs excès. Ce n'est pas une petite plaie que Lot s'est attirée par son ivresse. Car il a copulé très salement avec ses propres filles, qui ont ensuite conçu, de telle sorte que la chose fut dévoilée, et ne pouvait plus être cachée. Deux enfants incestueux sont nés, Ammon et Moab, dont deux nations sont issues, les Ammonites et les Moabites, détestées par Dieu et adversaires cruels des Israélites, Son peuple. Ainsi, Lot a obtenu en buvant le chagrin et le souci d'une infamie et de reproches perpétuels, jusqu'à la fin du monde. Si Dieu n'a pas épargné Son serviteur Lot, qui était par ailleurs un homme pieux, neveu d'Abraham, lui qui s'entretenait avec les Anges de Dieu, que ne fera-t-Il pas à ces immondes esclaves de leur ventre qui, dénués de toute piété ou de comportement vertueux, non pas une fois mais continuellement, nuit et jour, s'adonnent entièrement à boire et à banqueter ?

Mais voyons plus avant les terribles exemples de l'indignation de Dieu contre ceux qui suivent si avidement leurs désirs insatiables de lucre. Amnon, le fils de David, festoyant avec son frère Absalon, fut cruellement assassiné par son propre frère. Holopherne, un capitaine vaillant et puissant, vaincu par le vin, eut la tête tranchée par cette femme [soi-disant] idiote, Judith. Simon le grand prêtre et ses deux fils Mattathias et Judas, entrainés par Ptolémée le fils d'Abobus qui avait épousé la fille de Simon, après avoir beaucoup mangé et bu, furent traitreusement assassinés par leurs propres parents. Si les Israélites ne s'étaient pas adonnés aux réjouissances du ventre, ils ne seraient pas si souvent tombés dans l'idolâtrie. Et nous ne serions pas autant attachés à la superstition, si nous n'avions pas en si haute estime le remplissage de nos estomacs. Les Israélites, en servant les idoles, « s'asseyaient pour manger et boire et se levaient pour s’amuser », comme l'Écriture le rapporte ; c'est pourquoi, pendant qu'ils cherchaient à servir leurs ventres, ils ont oublié le service du Seigneur, leur Dieu. Nous sommes ainsi attirés à consentir à la faiblesse quand notre cœur est vaincu par l'ivresse et la bonne chère. Ainsi Hérode, tout à son banquet, était content que le saint homme de Dieu, Jean Baptiste, soit décapité à la demande de la fille de sa catin. Si le riche glouton n'avait pas été si avidement adonné à dorloter son ventre, il n'aurait jamais été si insensible envers le pauvre Lazare, et il n'aurait pas eu à ressentir les tourments d'un feu inextinguible. Pour quel motif Dieu a-t-Il si horriblement puni Sodome et Gomorrhe ? N'était-ce pas à cause de leur orgueil et de leurs banquets, et de leur continuelle oisiveté, qui les ont conduits à une manière de vie aussi obscène et sans pitié pour les pauvres ? Que penser des excès horribles à cause desquels tant de gens ont péri et ont été emportés par la destruction ?

Alexandre le Grand, après avoir conquis le monde entier, fut lui-même tellement ivre qu'il tua son fidèle ami Clitus, ce dont, étant redevenu sobre, il fut si honteux qu'il souhaitait mourir, tellement son cœur était angoissé. Nonobstant cela, il ne cessa pas de banqueter, et un soir il avala tant de vin qu'il fut pris de fièvre, et comme il ne voulait en aucune façon s'abstenir du vin, sa vie se termina peu de jours après d'une façon misérable. Le conquérant du monde devint un esclave par ses excès et il est devenu fou au point de tuer son cher ami ; anéanti par le chagrin, la honte et le cœur douloureux à cause de son intempérance, il ne se modéra cependant pas ; il était retenu captif, et lui qui avait soumis tant d'hommes est devenu le vil esclave de son ventre. Tels sont les ivrognes et les gloutons, pris ensemble, qui n'ont pas d'emprise sur eux-mêmes, et plus ils boivent plus ils ont soif ; un banquet en provoque un autre ; ils s'étudient à remplir leurs estomacs avides. C'est pourquoi on dit communément : « Un ivrogne a toujours soif » et « Le ventre d'un glouton n'est jamais rempli ».

Les affections et les désirs du cœur humain sont insatiables, et nous devons donc apprendre à les tenir en bride avec la crainte de Dieu, de telle sorte que nous ne dépendions pas de nos propres envies. Ne provoquons pas l'indignation de Dieu contre nous en cherchant à satisfaire notre appétit bestial. St Paul nous enseigne « Soit que nous mangions, soit que nous buvions, ou quoi que nous fassions, faisons tout pour la gloire de Dieu ». Il pointe cela comme pour mesurer combien un homme peut manger et boire, c'est à dire témoigner combien l'esprit devient léthargique en avalant de la nourriture et en ingurgitant de la boisson, [et] à ce qu'il est incapable de se lever pour louer et glorifier Dieu. Quoi qu'il en soit, celui qui se rend incapable même de désirer servir Dieu à force de manger et de boire, qu'il n'imagine pas s'en sortir impuni.

Vous avez entendu combien Dieu Tout-Puissant déteste les abus de Ses créatures, ainsi qu'Il l'a déclaré, aussi bien dans Sa sainte Parole que par les terribles exemples de Ses justes jugements. Maintenant, si ni la Parole de Dieu ne peut réfréner nos envies rageuses et nos appétits avides, ni les exemples manifestes de la vengeance de Dieu nous instiller la peur des banquets subversifs, et de manger et boire en excès, considérons les multiples méfaits qui en découlent, afin que nous jugions l'arbre à ses fruits. Cela fait du mal au corps, cela infecte l'esprit, cela gaspille l'argent, et c'est une gêne pour le prochain. Mais qui peut exprimer les multiples dangers et inconvénients qui s'ensuivent d'un régime intempérant ?

Souvent la mort survient soudainement au cours d'un banquet ; quelques fois les membres se dissolvent et le corps entier est réduit à un état misérable. Celui qui mange et boit sans mesure allume souvent une chaleur peu naturelle dans son corps, au point que son appétit est provoqué par là à désirer plus qu'il ne devrait, ou autrement il détruit son estomac et remplit tout son corps de langueur, le rendant incapable et lui ôtant tout désir de servir Dieu et l'homme, car il ne nourrit pas son corps mais lui fait du mal, et finalement il s'attire toutes sortes de maladies incurables, menant parfois à une mort dans le désespoir. Mais que me faut-il dire de plus sur ce sujet ? Car sauf si Dieu bénit notre nourriture et lui confère une force nourrissante ; encore une fois, sauf si Dieu donne de la force à notre nature pour digérer afin que nous en tirions profit ; soit nous la vomiront salement, soit elle restera à puer dans notre corps comme dans un évier ou un égout répugnant, et elle infectera ainsi notre corps tout entier de diverses manières. Et la bénédiction de Dieu est certainement si éloignée de ceux qui ont la rage des banquets qu'on voit parfois sur leur figure l'expression du gage de cette impertinence, comme Salomon l'a noté dans ses proverbes : « Pour qui le malheur ? » dit-il, « Pour qui le chagrin ? Pour qui le conflit? Pour qui la bagarre ? Pour qui les blessures sans motif ? Et pour qui les yeux rouges ? Pour ceux qui s'attardent trop autour du vin ». Remarquez, je vous prie, les gages terribles de l'indignation de Dieu. Le chagrin et la tristesse, le conflit et la bagarre, les blessures sans motif, la face défigurée et les yeux rouges sont mérités quand les hommes se soumettent à une gourmandise excessive, cherchant par tous les moyens à développer leurs appétits avides, en décantant le vin et en l'agrémentant de liqueur de telle sorte qu'il en soit plus délectable et plaisant pour eux. Il serait expédient que des personnes si délicates soient dirigées par Salomon, qui, considérant les inconvénients déjà cités, interdisait jusqu'à la vue du vin. « Ne regarde pas le vin », dit-il, « quand il est rouge et quand il révèle sa couleur dans la coupe ou qu'il se verse agréablement. Car à la fin il mord comme le serpent et blesse comme la vipère. Tes yeux regarderont des femmes étrangères et ton cœur dira des choses obscènes. Et tu seras comme quelqu'un qui dort au milieu de la mer, et comme celui qui dort au sommet du mât. Ils m'ont frappé mais je ne l'ai pas senti, raison pour laquelle j'en veux encore ». Cela doit certainement faire très mal comme ce qui mord et infecte comme un serpent venimeux et par quoi les hommes sont amenés à une sale fornication, et cela pousse le cœur à envisager des sottises. Il est sans aucun doute en grand danger celui qui dort au milieu de la mer, car il sera bientôt englouti par les vagues. Il est près de tomber subitement celui qui dort au sommet d'un mât. Et sûrement il a perdu le sens celui qui ne sent pas qu'il est frappé, qui ne sait pas qu'on le bat. Les excès de table et de boisson piquent donc le ventre et causent des aigreurs d'estomac continuelles, amènent les hommes à la prostitution et à l'obscénité du cœur avec des dangers inexprimables, de telle sorte qu'ils se voient privés et volés de leurs sens, et se retrouvent sans plus aucun empire sur eux-mêmes. Qui ne voit pas maintenant l'état misérable dans lequel les hommes sont amenés par ces sales monstres : la gloutonnerie et l'ivrognerie ? Leur corps est aussi malmené par eux-mêmes que, comme Jésus ben Sirac [le livre du Siracide ou Écclésiastique] l'affirme, le mangeur insatiable ne dort jamais calmement, car il allume en lui une chaleur qui déclenche une peine et une douleur continuelles dans tout le corps.

Et l'esprit n'est pas moins victime des banquets, en vérité. Car des hommes sont quelquefois frappés d'une frénésie de la pensée et sont amenés de cette manière dans la folie pure et simple ; quelques uns deviennent si brutes et butés qu'ils en sont privés de toute intelligence. C'est une chose horrible qu'un homme se mutile lui-même d'un de ses membres, mais qu'un homme, de son propre consentement, se prive lui-même de son esprit, c'est une intolérable sottise. Le prophète Osée, au chapitre 4, dit que « le vin et l'ivresse arrachent le cœur ». Hélas, [quel dommage] qu'un homme produise ce qui pourrait le priver de la possession de son propre cœur. « Le vin et les femmes guident les sages hors du chemin et conduisent les intelligents à la réprobation et à la honte », dit Jésus fils de Sirac. Oui, il demande : « Quelle vie mène un homme soumis à l'ivrognerie? Le vin bu en excès cause l'amertume de l'esprit et cause des conflits et des bagarres ». Chez les magistrats, il cause la cruauté au lieu de la justice, ainsi que le sage philosophe Platon le voyait bien quand il affirmait qu'« un homme saoul a un cœur tyrannique » qui lui imposera tout à sa guise, contrairement au droit et à la raison. Et il est certain que l'ivrognerie conduit les hommes à oublier la loi et l'équité, ce qui a amené le Roi Salomon à édicter strictement que le vin ne devait pas être donné aux dirigeants « afin que d'aventure ils n'oublient en buvant ce que la loi leur prescrit et qu'ils ne changent la sentence de tous les enfants des pauvres ». C'est pourquoi, de toutes les sortes de gens, boire excessivement est particulièrement intolérable chez un magistrat ou un représentant de l'autorité, comme Platon l'a dit. Car un ivrogne ne sait pas où il est ; si donc un représentant de l'autorité est un ivrogne, hélas, comment pourrait-il être un guide pour les autres, ayant lui-même besoin qu'on le gouverne ? De plus, un ivrogne ne peut garder aucun secret ; nombreuses sont les paroles stupides, affectueuses et sales qui sont dites quand les hommes sont à leurs banquets. « L'ivrognerie », comme Sénèque l'affirme, « découvre toute méchanceté et l'expose à la lumière ; elle ôte toute honte et aggrave toute sottise. L'homme fier, étant saoul, exhale son orgueil, l'homme cruel dévoile sa cruauté et l'envieux son envie, de telle sorte qu'aucun vice ne peut rester caché chez un ivrogne. En outre, parce qu'il ne se connaît plus lui-même, son discours devient hésitant et bégayant; sa démarche chancelante, il ne voit rien correctement avec ses yeux écarquillés, croyant que c'est la maison qui tourne autour de lui », il est évident que l'esprit sort clairement de ses gonds par la boisson excessive, de telle sorte que « quiconque est trompé par le vin ou la boisson forte » devient, comme Salomon l'a dit, « un moqueur ou un fou, qui ne peut jamais être sage ». Si un homme pense qu'il peut boire beaucoup de vin et garder l'esprit clair, il peut aussi supposer, comme Sénèque l'a dit : « que même s'il boit du poison il n'en mourra pas ». Car là où il y a beuverie, l'esprit est ensuite perturbé et là où le ventre est farci de mets délicats, la pensée est oppressée par une lenteur paresseuse. « Un ventre plein abrutit l'intelligence », dit St Bernard, et beaucoup de nourriture fatigue l'esprit.

Mais hélas, les hommes d'aujourd'hui ne surpassent guère [les anciens] pour ce qui est du corps et de l'esprit, et ils ont donc d'abondantes richesses mondaines pour satisfaire leurs incommensurables envies ; ils ne font pas attention à ce qu'ils font. Ils n'ont pas honte de montrer leur face avinée et de jouer ouvertement au fou. Ils se croient dans un bon cas, et que tout va bien pour eux, tant qu'ils ne sont pas atteints par le manque et la pauvreté. Afin que nul d'entre nous n'en profite pour se flatter lui-même de cette sorte bestiale d'excès permis par l'abondance des richesses, rappelons-nous ce que Salomon écrivait au chapitre 21 de ses Proverbes : « Celui qui aime le vin et les viandes grasses ne sera jamais riche », dit-il. Et au chapitre 23, il fait une exhortation véhémente telle que celle-ci ; « Ne tiens pas compagnie aux ivrognes et aux gloutons, car le glouton et l'ivrogne tomberont dans la pauvreté ». Celui qui fait passer son patrimoine par son gosier, mange et boit en une heure ou un jour plus qu'il n'est capable de gagner en une semaine entière, doit être imperturbable et finira dans la mendicité.

Mais certains diront : « Pourquoi chercher une faute en cela ? Il n'a fait de mal qu'à lui-même, il n'est l'ennemi de personne sinon de lui-même ». En fait, je sais que ceci est une réponse fréquemment avancée en défense de ces dieux bestiaux du ventre, mais il est aisé de voir combien ils font du mal, non seulement à eux-mêmes, mais aussi à la communauté, par leur exemple. Tous ceux qui les rencontrent sont troublés par leurs disputes et leur langage batailleur, et souvent, [par] leur rage dans leurs envies bestiales, « comme des chevaux qu'on nourrit, ils hennissent après les femmes de leurs voisins », comme Jérémie le disait, et souillent leurs enfants et leurs filles. Leur exemple est mauvais pour ceux avec qui ils vivent, ils sont une occasion de scandale pour beaucoup, et tandis qu'ils gaspillent leurs biens en banquets, leur propre maisonnée manque du nécessaire, leur femme et leurs enfants sont traités vilement, ils n'ont pas de quoi soulager leurs voisins pauvres dans le besoin comme ils auraient pu le faire s'ils vivaient sobrement. Ils ne sont d'aucun profit à la communauté, car un ivrogne n'est apte ni à diriger, ni à être dirigé. Ils sont en scandale à l'église ou à la congrégation de Christ, et c'est pourquoi St Paul les excommunie avec les prostituées, les idolâtres et les escrocs, interdisant aux Chrétiens de manger avec de tels hommes.

Évitons donc, bien-aimés, chacun de nous, toute intempérance ; aimons la sobriété et un régime modéré, pratiquons souvent le jeûne et l'abstinence, grâce à quoi l'esprit de l'homme s'élève plus aisément à Dieu, et est plus apte à tous les exercices de piété, comme la prière, l'écoute et la lecture de la Parole de Dieu, pour son renforcement spirituel. Finalement, quiconque regarde à la santé et à la sécurité de son propre corps, ou veut se sentir toujours bien dans sa tête, ou désire la tranquillité d'esprit et déteste la furie et la folie, celui qui voudrait être riche et échapper à la pauvreté, celui qui veut vivre sans blesser ses voisins, être un membre utile de la communauté, un Chrétien sans scandale pour Christ et Son église, qu'il évite tout banquet excessif et subversif, qu'il apprenne à garder la mesure dans son comportement et à professer une vraie piété, qu'il suive les règles de St Paul, et qu'il « mange et boive à la gloire » et à la louange « de Dieu », qui « a créé toutes choses afin qu'on en use » sobrement et « avec reconnaissance ». À qui soient tout honneur et toute gloire, à jamais. Amen.

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